bannière

IL EST TEMPS DE RECONNAÎTRE QUE LES PRINCIPES DES DROITS DE L'HOMME S'APPLIQUENT ÉGALEMENT À L'ORIENTATION SEXUELLE ET À L'IDENTITÉ DE GENRE


[Point de vue, Strasbourg 14/05/2008]
Dans le monde entier —y compris, donc, en Europe—, un certain nombre de personnes sont encore stigmatisées et discriminées en raison de leur orientation sexuelle (qu’elle soient réelle ou perçue comme telle par les autres) et de leur «identité de genre». Dans certains cas, ces personnes se voient encore refuser le droit à l’éducation, aux soins de santé, au logement et à l’emploi. Certaines d’entre elles sont harcelées par la police; elles ne bénéficient d’aucune protection lorsqu’elles sont agressées par des extrémistes, et peuvent être expulsées vers des pays où elles risquent la torture, voire la peine capitale. De la même manière, certaines organisations représentant ces personnes se voient refuser un enregistrement officiel par les autorités, ou encore l’autorisation de manifester pacifiquement. Trop rares sont les dirigeants politiques qui s’élèvent contre ce type de phénomène –et notamment contre les manifestations homophobes ou visant les transsexuels, qui peuvent être encore plus graves.

On prétend parfois que la défense des droits des lesbiennes, des homosexuels, des bisexuels et des transsexuels entraînerait forcément la définition de nouveaux droits. Or, c’est là un malentendu total. En effet, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et tous les traités qui y sont liés et ont été approuvés stipulent que le principe des droits de l’homme concerne tous les individus, et que nul ne doit en être exclu.

L’élément nouveau, aujourd’hui, est la demande de plus en plus importante dans le sens d’une application cohérente de ces principes universels. Désormais, dans la liste de raisons invoquées pour l’interdiction de toute discrimination qui figure dans les traités de protection des droits de l’homme, ou en ce qui concerne l’interprétation que l’on peut faire des raisons invoquées dans des textes précédents, il est fait clairement référence à l’élément «orientation sexuelle». Par exemple, on considère aujourd’hui que l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe figurant dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 englobe la discrimination à l’égard de personnes ayant certaines orientations sexuelles. La Cour européenne des droits de l'homme a spécifié, dans plusieurs de ses décisions, l'interdiction de la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle. De même, la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne interdit toute discrimination fondée sur des raisons de préférence sexuelle.

L’idée fondamentale est de rendre encore plus évidente l’évidence suivante: les lesbiennes, les homosexuels, les bisexuels et les transsexuels ont les mêmes droits que toute autre personne. Les normes internationales s’appliquent également à toutes ces catégories. En d’autres termes, toute discrimination à l’égard d’un individu pour des raisons d’orientation sexuelle[1] ou d’identité de genre[2] constitue un cas de violation des droits de l’homme.

C’est là le principal message des Principes de Jogjakarta sur l’application de la législation internationale des droits humains en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre. Ces principes, adoptés à l’issue d’une réunion d’experts tenue à Jogjakarta, en Indonésie, en 2006, définissent des obligations, pour tous les Etats, en ce qui concerne le respect, la protection et l’application des droits de l’homme pour toute personne, indépendamment de son orientation sexuelle ou de son «identité de genre» .

Les “Principes de Jogjakarta” sont le résultat d’un consensus unanime de 29 experts internationaux et indépendants en matière de droits de l’homme — personnalités originaires de différentes régions du monde, et dont près de la moitié a travaillé au sein des comités des Nations Unies chargés d’élaborer les traités, ou en tant que rapporteurs spéciaux. Mme Mary Robinson, ex-Haut Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, faisait partie de ce groupe d’experts[3].

Dans l’introduction aux “Principes de Jogjakarta”, les experts déclarent très clairement qu’il ne s’agit pas de demander de nouvelles normes, et qu’il suffirait simplement de respecter les normes existantes. Ces experts ajoutent qu’il est de la plus haute importance de définir clairement les obligations fixées aux différents Etats par la législation internationale relative aux droits de l’homme, et en vigueur à l’heure actuelle — et ce, afin de promouvoir et de protéger l’ensemble des droits de l’homme pour tous, sur la base des principes d’égalité et de non discrimination.

Par conséquent, le document adopté à Jogjakarta ne se contente pas de poser des principes: il définit également, de manière très précise, les obligations des Etats. Il demande des mesures législatives et autres en vue d’interdire et d’éliminer la discrimination à l’égard des personnes pour des raisons d’orientation sexuelle ou d’identité de genre. Toute législation ou plan d’action visant à combattre la discrimination devrait également englober ce type de discrimination. Il conviendrait également d’abroger toutes les lois considérant comme un crime les relations sexuelles librement consenties entre personnes de même sexe[4].

Le document signé à Jogjakarta demande également aux gouvernements d’agir concrètement, par l’éducation et la formation, en vue d’éliminer les préjugés dans ce domaine. Des mesures devraient être prises afin d’éliminer les comportements discriminatoires fondés sur l’idée que telle ou telle orientation sexuelle ou identité de genre est supérieure ou inférieure à telle autre.

L’un des chapitres majeurs du Document de Jogjakarta concerne ce que les auteurs appellent «le droit à la sûreté de sa personne». Dans ce paragraphe (qui constitue le «Principe No 5»), il est recommandé aux Etats:

• de prendre toutes les mesures, policières et autres, nécessaires à la prévention de toute forme de violence ou de harcèlement liée à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre, et à la protection contre de tels comportements;

• de prendre toutes les dispositions législatives permettant de condamner tout individu ou groupe à des peines criminelles appropriées pour toute violence, menace de violence, toute incitation à la violence et tout harcèlement liés à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre — et ce, dans toutes les sphères de la vie, y compris la sphère familiale;

• de prendre toutes les dispositions législatives et administratives, ou toute autre mesure nécessaire, afin de garantir que l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de la victime ne puissent pas être invoquées pour justifier, excuser ou atténuer une telle violence;

• de garantir une procédure d’instruction sérieuse au sujet de telles violences, et, lorsqu’il existe des preuves suffisantes, de veiller à ce que les personnes responsables soient poursuivies, jugées et dûment sanctionnées, et à ce que les victimes bénéficient d’un dédommagement et d’une réparation appropriées — y compris une indemnisation;

• d’entreprendre des campagnes de sensibilisation, aussi bien à l’attention du grand public que des auteurs réels et potentiels de violences, afin de lutter contre les préjugés qui sous-tendent ce type de violence, lié à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre.

Toutes ces mesures ou dispositions s’imposent. Lors de mes différentes missions dans les pays, j’ai été le témoin d’une certaine intolérance agressive à l’égard de ceux et celles que l’on considère comme «différents». J’ai vu des personnes vivre dans la peur que l’on découvre leur «différence», et d’autres qui, après l’avoir révélée au grand jour (ce que l’on appelle en anglais le «coming out»), ont dû subir de graves conséquences.

Les transsexuels sont particulièrement humiliés. Certains d’entre eux se sont vu refuser l’accès aux soins de santé les plus élémentaires et ont été confrontés à des pratiquants de la médecine qui refusent de leur dispenser des soins liés au changement de sexe. D’autres encore n’ont pas été autorisés à changer de nom sur leur passeport ou leur carte d’identité, ou ont finalement pu le faire au prix de procédures inhumaines, aujourd’hui en vigueur dans de nombreux Etats.

Dans tous ces domaines, les préjugés sont effectivement encore très forts –notamment dans les pays ayant connu récemment un régime dictatorial et l’absence de toute liberté d’expression et de dialogue. Il faut déplorer également que certaines tendances religieuses soient également allées dans cette direction de non-liberté; d’une manière générale, les tenants de ces mouvements religieux n’ont guère contribué à la défense des droits des lesbiennes, des homosexuels, des bisexuels et des transsexuels. Dans un certain nombre de pays, la lutte contre l’homophobie n’est certainement pas la bienvenue. Tout cela montre bien l’importance d’une éducation plus libérale et plus systématique dans le sens de la défense des droits, ainsi que d’un processus de sensibilisation, et des prises de position plus fermes de la part des dirigeants politiques. J’ai la conviction que les «Principes de Jogjakarta» revêtent une grande importance dans ce contexte.

Je recommande à tous les Etats membres du Conseil de l’Europe d’étudier ce document et d’en faire appliquer les principes par des mesures concrètes. En réalité, certains Etats membres du Conseil de l’Europe ont déjà totalement intégré ces principes à leur politique relative aux droits de l’homme. En ce qui me concerne, j’adhère totalement aux Principes de Jogjakarta,

Thomas Hammarberg

Également disponible sur le site du Commissaire, sur https://www.coe.int/fr/web/commissioner/.
Lien direct: https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/ee.


Notes:

[1]  Le document approuvé à Jogjakarta définit l’«orientation sexuelle» comme «la capacité de chacun à ressentir une profonde attirance émotionnelle, affective et sexuelle envers des individus du sexe opposé, de même sexe ou de plus d’un sexe».

[2]  Ce même document définit l’«identité de genre» comme «l’expérience intime et personnelle du sexe faite par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe de naissance, y compris une conscience personnelle du corps (qui peut impliquer, si consentie librement, une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autres) et d’autres expressions du sexe, y compris l’habillement, le discours et les comportements».

[3]  Parmi les autres experts européens ayant adopté les Principes de Jogjakarta figuraient également Maxim Anmeghichean (Moldova), Yakin Erturk (Turquie), Judith Mesquita (Royaume-Uni), Manfred Nowak (Autriche), Michael O’Flaherty (Irlande), Dimitrina Petrova (Bulgarie), Nevena Vuckovic Sahovic (Serbie), Martin Scheinin (Finlande), Stephen Whittle (Royaume-Uni) et Roman Wieruszewski (Pologne).

[4]  A l’heure actuelle, plus de 80 pays considèrent encore comme un crime les relations sexuelles librement consenties entre personnes de même sexe, et 7 pays au moins condamnent encore ces personnes à la peine capitale.

Mis en ligne le 28/08/2020.


début de page

retour t. européens